Imagine-t-on en Suisse au XXIe siècle des employeurs qui exploitent des employé-e-s au travail ? Par exemple, une femme s’occupant 24h/24 et 7j/7 d’enfants dans un ménage privé contre une très faible rémunération et sans possibilité réelle de quitter son travail ? Ou un garçon forcé, par un groupe d’adultes, de ramener 100 francs par jour par tout moyen, dont la mendicité et le vol ?
Dans la plupart des situations d’exploitation au travail, un individu exploite la vulnérabilité d’un autre individu afin de lui imposer de très mauvaises conditions de travail. La situation paraît inimaginable, à l’ère des droits humains et de la protection des travailleurs et travailleuses. Pourtant, le phénomène est bien réel sur le sol helvétique.
Plusieurs secteurs concernés
Les secteurs concernés sont la construction, la restauration/l’hôtellerie, l’économie domestique, l’agriculture et la criminalité forcée. Parfois, l’exploitation au travail se double d’abus sexuels. Dans certains secteurs, les victimes sont exclusivement des femmes (économie domestique) ou des hommes (construction). De même, les régions d’origine des victimes sont particulièrement marquées dans certains secteurs (par exemple, Europe de l’Est, Amérique latine et Afrique dans l’économie domestique). Dans l’immense majorité des cas, les victimes sont de nationalité étrangère et ne possèdent pas d’autorisation de séjour ni de travail en Suisse.
Beaucoup de cas, peu de condamnations
L’article 182 du Code pénal suisse interdit la traite d’êtres humains à des fins d’exploitation au travail. L’exploitation au travail n’est donc punissable que lorsqu’une personne recrute, transporte, héberge ou accueille une autre personne avec l’intention d’exploiter sa force de travail, en utilisant à cette fin des moyens de contrainte ou de pression. Or, selon une étude de 2016, le faible nombre de condamnations pour traite d’êtres humains ne reflète en rien le nombre réel de cas. La statistique policière et le nombre de consultations auprès des centres d’aide aux victimes ne permettent pas non plus de mesurer de manière exacte le phénomène puisque les chiffres englobent aussi la traite des êtres humains à des fins d’exploitation sexuelle.
Des obstacles aux niveaux humain et juridique
Selon les circonstances, les personnes qui sont exploitées n’ont pas toujours la possibilité de se défendre et, ainsi, les auteurs ne sont que rarement condamnés.
Mesures d’amélioration possibles
Néanmoins, des moyens de lutte contre l’exploitation au travail existent. Voici quelques propositions d’amélioration:
Conclusion
L’exploitation au travail est un problème bien réel en Suisse, qui, pourtant, pour plusieurs raisons, n’est que peu visible et échappe aux statistiques. Les auteurs en sont ainsi rarement tenus responsables. Pour que les mesures de lutte et de prévention contre ce phénomène soient efficaces, plusieurs approches sont nécessaires, telles que la sensibilisation des services compétents. Un meilleur recensement des données est également nécessaire, tout comme éventuellement une nouvelle norme pénale spécifique à l’exploitation au travail. Une meilleure mise en œuvre de l’article 182 du Code pénal reste cependant prioritaire selon le CSDH.
Dans le cadre de son sous-projet « Numérisation, droit du travail et migration », le CSDH s’interroge sur le phénomène de l’exploitation au travail sur le territoire suisse à la lumière de ses manifestations concrètes et de son environnement juridique : le cadre légal en vigueur en Suisse permet-il de combattre efficacement l’exploitation au travail ou des améliorations, souhaitables sur le plan des droits humains, peuvent-elles être réalisées ?
Le domaine thématique migration étudie actuellement des cas récents d’exploitation au travail qui n’ont pas été considérés comme remplissant les conditions de l’article 182 du Code pénal (traite des êtres humains) par les tribunaux ou les autorités de poursuite suisses, afin de déterminer où se situent les problèmes dans l’application de la norme pénale et de faire des propositions d’amélioration taillées pour le cadre juridique suisse à la lumière des droits humains.
Références